Khafaqan

« Khafaqan » mot persan à la sonorité rauque, presque suffocante évoque l’oppression, l’étouffement, un resserrement intérieur impossible à dire. Dans cette œuvre déclinée en vidéo art et en deux séries photographiques, Mozhgan Erfani explore la manière dont les mots, lorsqu’ils s’incrustent jusqu’à recouvrir la chair, peuvent devenir des armes silencieuses d’effacement.

Le terme Khafaqan se propage ici sous forme calligraphiée sur les paumes, jusqu’à les noircir entièrement, effaçant toute distinction, toute individualité. Ce mot, répété jusqu’à saturation, envahit l’image et le corps, consumant peu à peu l’identité propre, une allégorie d’une disparition programmée. La calligraphie, habituellement ornement et beauté dans la tradition persane, devient ici un acte violent, un tatouage de l’effacement, un cri sans voix.

Ce geste esthétique, presque rituel, s’inscrit dans une mémoire profondément personnelle. Marquée dans son enfance par le film Kwaïdan de Masaki Kobayashi, Mozhgan Erfani a été saisie par cette esthétique de l’invisible, une manière glaçante de rendre l’humain méconnaissable. Ce souvenir résonne avec celui d’une scène familière et douloureuse. Celle de voir sa propre mère disparaître sous le chador, se fondre dans une masse que l’artiste appelle « entités noires», indistinctes, devenues anonymes, indistinguables et introuvables. Cette expérience sensorielle de la perte et de l’effacement traverse toute son œuvre.

Les mains levées vers le ciel, dans un geste entre prière et abandon, deviennent alors le dernier refuge. Elles disent la vulnérabilité, l’imploration, la résistance muette. Ce sont elles qui donnent, qui reçoivent, qui aiment et que l’on tente ici d’annihiler. Le cadre resserré étouffe le regard comme une cage, jusqu’à rendre l’air même irrespirable.

Par cette œuvre, Mozhgan Erfani tisse un dialogue entre douleur intime et critique politique. Khafaqan est une élégie visuelle pour toutes celles que l’on a rendues invisibles, un témoignage sensible, où le corps devient lieu d’inscription d’un silence imposé, mais aussi, paradoxalement, de sa transgression.